Agnès Marot
VanouVousLivre : Merci Agnès de m’accorder cette interview pour ma petite rubrique
Agnès Marot : Merci à toi d’avoir pensé à moi ! Je vais essayer de pas dire trop de bêtises, promis (bon, d’accord, je m’avance peut-être un peu !).
VanouVousLivre : Nous sommes curieux alors peux-tu nous parler un peu de toi s’il te plaît ?
Agnès Marot : Tu commences par une question piège, c’est ça ? Voyons, qu’est-ce que je peux vous raconter qui va vous intéresser ? J’ai 24 ans et toutes mes dents, j’ai fait un bac scientifique pour avoir bonne conscience avant de voler vers des études de lettres, pour mon plus grand bonheur, tout ça dans le but avoué de devenir éditrice. Ce que je suis depuis peu, en freelance, pour diverses maisons d’édition.
J’ai toujours voulu avoir un pote tigre (un vrai de vrai), j’aimerais bien voir un dragon un jour, et faire le tour du monde. Oh, et je suis une grande optimiste, mais je crois que vous commencez à vous en douter !
VanouVousLivre : Nous sommes sur un site dédié à la littérature et j’essaie au mieux de diversifier mes lectures au travers de divers genres. Peux-tu nous dresser une petite liste de tes romans préférés, ceux qui t’ont le plus marqué tous genres confondus ?
Agnès Marot : C’est difficile de répondre, parce que ça varie énormément selon les périodes de ma vie. Alors, je vais répondre pour maintenant, mais dans quelques mois ce ne sera peut-être plus vrai.
- Kafka sur le rivage, d’Haruki Murakami, pour sa folie étrange et son histoire d’amour fou.
- Rivage des intouchables, de Francis Berthelot (oh, encore un rivage !), et Hadès Palace du même auteur, pour la poésie à la fois magistrale et fluide de sa plume, pour les thèmes évoqués (l’art, l’amour, la différence, la force des choses du quotidien) qui me parlent très profondément, et parce que c’est le seul auteur qui me donne envie d’arrêter l’écriture tellement il est parfait et je pourrai jamais faire aussi bien (mais je me soigne).
- Hunger Games, qui n’est pas le meilleur roman que j’aie lu, mais qui a profondément changé mon écriture, sans que je sache trop pourquoi. À cause de la psychologie complexe des personnages et de cet espèce de souffle terrible qu’on ne peut pas relâcher avant la fin, peut-être.
- La Saveur des figues, de Silène, pour retrouver le goût des petites choses.
Et plein d’autres…
VanouVousLivre : L’écriture et toi ça date de quand et à quel moment est-ce devenu du sérieux comme on dit ?
Agnès Marot : J’ai écrit mon premier roman quand j’étais en CM2 (on ne rit pas dans la salle !). Ca parlait d’une auteur qui voulait devenir chanteuse, ou l’inverse, je sais plus. C’était génial.
Après, au collège, j’ai écrit tout un tas de poèmes torturés dignes d’entrer au panthéon de la littérature. En seconde, j’ai écrit mon deuxième roman, un vrai, celui-ci, un truc de fantasy avec des elfes et une histoire d’amour. Même pas en rêve je vous le ferai lire un jour ^^
Ensuite, j’ai écrit des textes à droite à gauche qui ne rentraient dans aucune case. Après le bac, pendant mes 3 années d’études de lettres, j’ai pas écrit du tout. J’en parle un peu sur mon blog si ça vous intéresse de savoir pourquoi ===> ICI ). Et quand j’ai repris, au début de mes études d’édition, c’est là que c’est devenu du sérieux. D’un coup, je me suis dit : tu reprends ton clavier, et tu écris pour de vrai, tu travailles, tu te fous un coup de pied aux fesses et tu tentes de réaliser ton rêve et de mettre ton nom sur une couverture. Parce que c’est pas en regardant les étoiles avec la bouche ouverte que tu vas y arriver. J’ai écrit (et peiné sur) La Couleur de l’aube, puis j’ai enchaîné avec « De l’autre côté du mur », qui m’est venu beaucoup plus naturellement, et je n’ai plus arrêté.
VanouVousLivre : J’ai lu « De l’autre côté du mur » en prévision du Salon du Livre de Paris. Comme beaucoup je ferai la queue pour obtenir une petite dédicace mais là tout de suite, j’aimerai savoir où l’histoire de Sibel est-elle née ? Est-elle un peu, beaucoup ou pas du tout toi ?
Agnès Marot : Seule littéraire dans une famille de scientifiques (des grands lecteurs, tout de même), en couple avec un futur ingénieur, j’ai toujours eu un pied entre les deux univers. Leur relations m’ont donc toujours intriguées, et je suis convaincue qu’à l’époque où les mathématiciens étaient aussi philosophes, et où les écrivains étaient aussi physiciens, les choses avaient plus de sens (je ne dis pas qu’elles étaient mieux. Juste plus de sens.).
Nourrie de cette réflexion, et de ma constatation, année après année, que science et art se séparaient de plus en plus, jusque dans la conception des villes et des campus universitaires, j’ai eue envie de montrer combien c’était absurde en poussant le raisonnement jusqu’au bout. C’est de là que tout est parti.
Cette histoire me ressemble un peu, comme chacune de mes histoires, comme chacun de mes personnages, bien sûr, puisqu’ils prennent source dans mes propres convictions, dans mes propres expériences de vie, dans ma façon d’observer et d’appréhender les relations entre les gens. Pour autant, elle n’est pas moi. Elle est vôtre, à vous, lecteurs, qui la ressentez et la vivez selon vos propres perspectives. L’image que vous vous en faites n’est sans doute pas la même que la mienne, ni que celle du voisin. Alors ma version de l’histoire est assez proche de moi, oui. Mais la vôtre est sans doute plus proche de vous ! (Zut, j’ai manqué à ma promesse du début de l’interview )
VanouVousLivre : Ton roman parle beaucoup de la danse. Est-ce une discipline que tu pratiques ? Les descriptions sont si détaillées, émotionnelles, que je me suis dit : « elle doit danser c’est sûr ! ». Me suis-je trompée ?
Agnès Marot : Dans le mille ! Je suis danseuse depuis presque aussi longtemps que j’écris, même si cette discipline reste avant tout, pour moi, un loisir (dans le sens où je ne chercherai jamais à devenir professionnelle). Là aussi, si ça vous intéresse, j’avais écrit un article sur mon rapport à l’écriture et à la danse ==> ICI )
Pour les curieux, je fais du modern jazz depuis toujours, mais j’ai aussi touché au contemporain, aux danses de salon, à la salsa, au tango argentin, à la danse africaine… j’aime expérimenter les différentes sensations, qu’on retrouve, je crois, dans mon écriture. Et je suis accro. Si j’ai pas ma dose, je deviens une vraie harpie !
VanouVousLivre : « De l’autre côté du mur » est une dystopie, un genre qui plaît beaucoup ces dernières années, comme si les gens aimaient s’imaginer un futur parfait mais que finalement ils avaient bien conscience que la perfection cachait forcément une part d’ombre. Que penses-tu de cela ? Les auteurs de dystopies sont-ils selon toi des optimistes ou des défaitistes ? Parviendrons-nous un jour à vive dans un monde sans guerre, sans haine…. ?
Agnès Marot : Pour moi, les dystopies, c’est avant tout une façon de parler de l’homme face à une oppression écrasante, omniprésente, qui contrôle tout. Selon les fois, cela peut-être optimiste (la plupart des dystopies YA, qui se terminent bien), ou au contraire tirer la sonnette d’alarme en montrant l’inéluctabilité des choses une fois qu’elles sont engrangées (1948 de George Orwell).
Je ne crois pas en ce monde idéal que tu décris, car c’est justement ça qui nous mènerait à une « dictature du bonheur » que je dénonce dans De l’autre côté du mur, et je crois surtout qu’on s’y ennuierait royalement. Non, moi, ce que j’aime dans les dystopies, c’est la puissance de ce rappel de l’humanité qui est en nous, de la force des émotions, presque instinctives, qui nous permettent d’échapper à n’importe quel carcan, ou au moins de nous réveiller assez longtemps pour amorcer la lutte. Ces romans qui rappellent que la vraie nature de l’homme n’est pas dans un ordre parfait, dans un contrôle absolu, mais dans un joyeux bordel qui apporte son lot d’horreurs et de déplaisir, mais qui permet aussi de vivre des moments de bonheur pur. À nous d’y trouver notre propre équilibre.
VanouVousLivre : La rencontre entre Sibel et Aslan est plutôt comique. J’ai adoré cette découverte de l’autre sexe vue au travers des yeux de Sibel. Est-ce ainsi que tu vous les hommes : comme des femmes laides ? (humour lol )
Agnès Marot : Ha ha ! Non, bien sûr, mais ta question m’a bien fait rire ^^
Sibel se trompe lourdement, comme elle le découvre à ses dépends, car au fond, même s’il y a des différences fondamentales entre les hommes et les femmes (ne serait-ce que physiques), c’est l’humain en nous qui importe, et ça, ça n’est pas une question de genre. Mais Sibel n’a pas d’autre repère que les femmes dans sa vie, elle ne pouvait que comparer Aslan à ce qu’elle connaissait.
Pour la petite histoire, j’étais dans le RER pendant que j’écrivais cette scène. J’ai essayé de me mettre à la place de Sibel, qui n’aurait jamais vu un homme, donc, et s’y retrouverait soudain confrontée. J’ai levé le nez de ma tablette en quête d’inspiration, et je me suis mis à dévisager tous les hommes du wagon en me retenant d’éclater de rire tant bien que mal quand je comparais leurs particularités physiques à celles des femmes, imaginant les pensées de Sibel.
VanouVousLivre : j’aime beaucoup la mythologie et je me demandais si Sibel avait un lien avec la déesse Cybèle car je trouve qu’elles ont beaucoup de points communs : la nature, les lions…
Agnès Marot : Pas directement, non : le prénom de Sibel vient du prénom turc, dont j’ai cherché la signification pour qu’elle colle à sa personnalité (comme pour chacun de mes personnages). Effectivement, c’est une nymphe de la nature, qui a sans doute à voir, étymologiquement, avec la Cybèle que tu connais. Mais ce n’était pas la raison de mon choix.
VanouVousLivre : Ton nouveau roman « La couleur de l’aube » va bientôt paraître aux éditions Armada. Peux-tu nous en parler un peu pour nous faire saliver ?
Agnès Marot : *Tend un mouchoir pour effacer la bave.*
Ce roman a été écrit avant De l’autre côté du mur, c’est en réalité le premier que j’ai terminé. Il est à la fois proche et différent : on y retrouve certains thème (la nature « vivante », la force des couleurs, la soif de liberté et le besoin de lutter pour l’obtenir), mais l’écriture est encore plus onirique, plus proche du conte par bien des aspects. L’univers est très sombre, même si l’espoir reste au premier plan, et il y a des scènes beaucoup plus dures que dans De l’autre côté du mur. Et, surtout, c’est une histoire d’amour, une vraie de vraie.
C’est de la fantasy, et dedans, il y a une princesse avec un bandeau sur les yeux, un domestique dévoué, un monde sur le point de sombrer dans le chaos, des villes qui manipulent leurs habitants en exacerbant leurs émotions négatives, et même qu’elles se déplacent histoire de bien compliquer tout ça. Pas de magie au sens propre, mais une nature vivante, consciente. Et des couleurs qui disparaissent et qu’on doit faire revivre. Sortie le 4 avril à Zone Franche !
VanouVousLivre : As-tu d’autres projets en cours ?
Agnès Marot : Toujours. J’ai un roman pour les plus petits (10 ans +) qui va paraître à l’automne, ça s’appelle « Le Secret des Bois-Noirs » et c’est l’histoire d’une chasse au trésor pour sauver une grand-mère malade, avec les anciens habitants d’une maison qui apparaissent sous forme de fantômes.
Un roman qui cherche un éditeur (Hoài et le tigre), l’histoire d’un conteur vietnamien qui devient copain avec un tigre doré (ça vous rappelle quelque chose ?).
Et une trilogie en cours d’écriture / de recherche d’édition, Play Your Life, où je retourne à mes premiers amours : la dystopie. Plus d’infos sur mon blog ou mon site Internet si ça vous intéresse !
VanouVousLivre : Un dernier mot pour tes lecteurs ?
Agnès Marot : Je vous aime ! (Ben oui, sinon j’écrirais pas toutes ces histoires.) Merci d’avoir écouté mon blabla, je suis décidément trop bavarde.
VanouVousLivre : Je te remercie encore de t’être prêtée au jeu de ce petit entretien et à bientôt.
Agnès Marot : A très vite, et merci pour tes questions, très intéressantes !
La chronique de "De l'autre côté du mur"