Les corps inutiles COUP DE COEUR

12/08/2015 10:24

Clémence vient d'avoir quinze ans, de terminer le collège. Un nouveau cycle s'ouvre à elle lorsqu'elle est agressée, en plein jour et en pleine rue par un inconnu armé d'un couteau. Ce traumatisme inaugural - même si elle n'en a pas encore conscience - va contaminer toute son existence. En effet, l'adolescente réalise qu'elle perd progressivement le sens du toucher...
À trente ans, Clémence, toujours insensible, est une célibataire endurcie, solitaire et sauvage. Après avoir été maquilleuse de cinéma, la jeune femme se retrouve employée de la « Clinique », une usine d'un genre particulier. En effet, la Clinique fabrique des poupées… mais des poupées grandeur nature, hyper-réalistes, destinées au plaisir - ou au salut - d'hommes esseulés.
Le roman déroule en alternance l'histoire de Clémence adolescente, hantée par cette agression dont elle n'a jamais osé parler à sa famille, et le récit de Clémence adulte, assumant tant bien que mal les conséquences physiques et psychologiques de son passé.
Mais la vie, comme toujours, est pleine de surprises...


Mon avis :

C'est le titre qui m'a interpellé dans ce petit salon du livre au beau milieu de Paris. « Les corps inutiles », la promesse d'un livre qui saurait me toucher. Puis, une couverture sobre où une fille rousse le visage partiellement masqué par sa chevelure, nous regarde, l'air perdu. Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime les histoires de filles rousses.

Ce roman est un petit bijou et cela tient en grande partie à l'écriture Delphine Bertholon et à sa manière toute particulière de nous raconter son histoire. L'alternance de deux époques, celle de l'adolescence et celle de l'âge adulte renforce encore plus les émotions, l'impression que tout a basculé ce fameux 29.

Et pourtant, «  ce n'était même pas un viol... ». Comme si seul l'acte en lui-même n'avait de répercussion. Un viol. L'auteur nous en livre la définition au creux de ses pages. Clémence n'est donc pas une vraie victime si on en croit le dictionnaire. Alors pourquoi est-elle brisée ? Pourquoi ne parvient-elle pas à se remettre de cette rencontre un soir d'été alors qu'elle n'avait que quinze petite années au compteur ? Pourquoi les quinze années qui ont suivi n'ont-elles été qu'un calvaire ? Anesthésiée qu'elle était... Car Clémence est adulte dans un corps d'adolescente. Une femme vide de sensation, d'émotion, un « corps inutile », tout comme ceux qu'elle s'applique à maquiller, ces êtres sans vie...

Les mots de Delphine Bertholon sont d'une justesse à faire frissonner. C'est une plume qui fait frémir, car elle raconte l'humain et sa souffrance avec sensibilité. Je suis tombée amoureuse de cette écriture dès les premières pages. Mots choisis, rythme tantôt saccadé, tantôt engourdis comme notre héroïne qui traverse sa vie sans la palper, qui chaque 29 tente de retrouver un semblant de contrôle sur ce qu'elle n'a pu maitriser quinze an auparavant.

Dans ce roman, l'auteure nous raconte un drame, mais pas seulement. Car chaque drame est vécu différemment selon les personnalités, selon les gens qui nous entourent, selon notre éducation. Delphine Bertholon évoque ici ces familles où on ne peut parler de ce qui ne va pas, où l'intimité n'existe pas, où quand un drame survient, on le garde au fond de soit, enfoui profondément pour ne pas faire de vague.

Dans « Les corps inutiles », les chapitres où Clémence a quinze ans sont ceux des émotions, de la descente aux enfers, d'un engourdissement progressif et inconscient pour mieux se protéger. On sait à quel point le subconscient peut influer sur notre corps. Clémence a somatisé son drame à l'extrême pour devenir finalement une handicapée des sentiments. Annihiler ses sensations, c'est la garantie de ne plus souffrir. Seulement, peut -on  vivre sans rien ressentir ? Les chapitres où on la retrouve à l'âge adulte nous montre bien que non. Clémence fonctionne tel un robot et les mots de Delphine sont plus mécaniques. C'est habile, c'est intelligent, c'est la marque d'un grand écrivain d'adapter son écriture à son récit, aux émotions qu'ils souhaitent transmettre.

Je ne sais pas si je vous aurai donné l'envie de lire ce chef-d'œuvre mas si vous êtes friand tout comme moi, d'émotions, d'histoire de vie, de roman psychologique, vous serez conquis j'en suis certaine. De la même manière que Delphine de Vigan, Delphine Bertholon (bon si j'ai une fille je l'appelle Delphine) est une auteure dont je compte bien lire d'autres œuvres.


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